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le blog des Etudes Bourbonnaises

analyse des articles parus dans le bulletin de la société bourbonnaise des études locales

Des béguines à Moulins au début du XVe siècle.

Publié le 15 Décembre 2020 par Dominique LAURENT

le béguinage de Louvain  et le célèbre béguinage de Bruges
le béguinage de Louvain  et le célèbre béguinage de Bruges

le béguinage de Louvain et le célèbre béguinage de Bruges

J’ai longtemps été intriguée par cette mention trouvée dans un registre de comptes de receveur, à Moulins :
Jehan Fillet, alors receveur de la communauté des bourgeois de la ville de Moulins note :
« Paié au dit Nerault pour une journée fecte le VIe jour de novembre à parer la dicte porte d'Alier pour ce que Monseigneur devoit aler ches les Beguines 20 sols »
C'est la seule mention, dans tous les documents que j'ai dépouillés, où il est fait référence à la présence, à Moulins, de béguines, ces laïques qui vivaient en commun, priant et portant assistance aux malades et aux démunis.
« Monseigneur » était alors le duc Louis II et sa visite aux dames béguines fit l'objet d'un cérémonial dont une partie des charges a été endossée par la communauté des bourgeois.
Parce que les béguinages ont perduré dans les Flandres jusqu'au XVIIIe siècle et qu'ils ont laissé une belle empreinte dans le paysage urbain, on peut avoir l'illusion que cette institution est bien connue. En réalité, les béguines n'ont laissé aucune archive, et l'une d'elle, Marguerite Porette, un texte mystique intitulé « Le Mirouer des simples âmes anienties et qui seulement demourent en vouloir et désir d'amour ». Les inquisiteurs les rattachent au mouvement des filles du Saint Esprit, et en virent peu à peu à les considérer comme des hérétiques.
Elles sont également connues par ce qu'en écrit Rutebeuf, poète du Moyen Âge, qui, dans son « Dit des béguines », se moquait de leur choix de vie :
« Quoi que puisse dire une Béguine,
prenez-le tous en bonne part :
Tout est religion
de ce qu’on trouve dans sa vie.
Sa parole est prophétie,
si elle rit, c’est pour être sociable,
si elle pleure, c’est par dévotion,
si elle dort, elle est en extase,
si elle songe, c’est une vision,
si elle ment, n’en croyez rien,
Si une Béguine se marie,
c’est là son genre de vie à elle :
ses vœux, sa profession
ne sont pas pour toute la vie.
Cette année, elle pleure, cette année elle prie,
et cette année elle prendra un époux.
Tantôt elle est Marthe, tantôt elle est Marie,
tantôt elle se garde, tantôt elle se marie.
Mais n’en dites rien que du bien :
Sinon le Roi ne le souffrirait pas. »
C'est cette absence de sources, affirme Aline Kiner, auteure de La nuit des Béguines, paru en 2017, qui l'a conduite a choisir la forme romancée. Ce roman fut très remarqué lors de sa sortie. Et elle fut invitée à Blois à l'occasion des « Rendez-vous d'histoire » de cette ville.
En France, les béguines ont fait l'objet de suspicion soit d'hérésie, soit de sorcellerie. Marguerite Porette, béguine à Valenciennes fut brûlée en place de Grève à Paris, le 1er juin 1310 comme « hérétique et relapse ».
Les béguines étaient des veuves, des épouses de chevaliers morts en croisade, des jeunes filles de la noblesse sans dot, des femmes pauvres, malades… Elles subsistaient grâce à leur travail : couturière, tisserande, lavandière, soin aux malades, enseignement…
A Paris, c'est saint Louis qui est à l'origine du béguinage de Paris, fondé en 1264 sur le modèle de celui de Gand, qui, lui, datait de 1234. Philippe III puis Philippe le Bel (mort en 1314) continuèrent à financer les béguinages, en allouant des pensions aux communautés par l'intermédiaire des chanoines.
C'est pourtant Philippe le Bel qui fut à l'origine de leur déclin. Elles furent l'objet de toute l'attention de Guillaume Humbert ou Ymbert, un dominicain, qu'il avait nommé Inquisiteur général du royaume de France. Jusqu'alors, c'est le pape qui nommait les inquisiteurs (c'est-à-dire les enquêteurs) de la Foi. Le roi avait pris prétexte des excès de l'Inquisition pour reprendre en main le fonctionnement de ses tribunaux, en dessaisissant le Pape dans le ressort du royaume. Ce que l'Inquisition reprochait aux béguines, c'était de se rattacher à un courant de pensée appelé « Libre Esprit ». Le pape Clément V était inquiet de toutes ces hérésies qui traversaient le pays (cathare, Vaudois... sans oublier les Templiers…). Le 21 mars 1314, le concile de Vienne décréta purement et simplement l'abolition du mouvement des béguines.
Le béguinage royal de Paris fut fermé en 1317, année où fut publié un décret du pape Jean XXII successeur de Clément V, condamnant à nouveau le statut des béguines. Cependant le Pape ajoutait :
« Il n’est pas interdit aux femmes pieuses, qu’elles aient fait voeu de chasteté ou non, de vivre honnêtement dans leurs maisons et d’y servir Dieu dans un esprit d’humilité »
Cela laissait au bon vouloir d'autorités locales la compétence de maintenir des béguinages. Ce fut le cas en Flandres. A Paris, il a subsisté jusqu'au règne de Louis XI. On sait qu'Isabeau de Valois, la mère du duc Louis II, avait légué par testament 10 francs en or aux béguines du grand béguinage de Paris. (A.N. P 1372/2 c. 3098)
Et cela fut apparemment le cas à Moulins.
Où se trouvait ce béguinage ?
Je suis longtemps restée sans réponse à cette question. Le duc a fait son entrée par la porte d'Allier : faut-il pour autant situer un enclos des béguines dans la rue qui relie cette porte au carrefour des Quartes ? C'est là qu'était implanté l'Hôtel Dieu fondé à la fin du XIIIe siècle par Agnès de Bourbon, pour répondre à un souhait de son défunt mari Jean de Bourgogne.
Après la suppression des béguinages de France par Louis XI, les béguines furent remplacées par des sœurs du tiers-ordre de Saint François. Mais certains continuaient à les appeler « béguines ». Cependant, cela n'intervint qu'en 1471.
Il est probable qu'à Moulins, le béguinage disparut vers 1421, date à laquelle, Marie de Berry, régente du duché, depuis que le duc, fait prisonnier à Azincourt en 1415 était emprisonné en Angleterre, sollicita sainte Colette de Corbie, réformatrice de l'ordre des Clarisses, pour fonder un couvent à Moulins.
Or Colette de Corbie était elle-même, avant d'être appelée à réformer les ordres franciscains, restée un an au béguinage de Corbie, dans l'actuel département de la Somme, sa ville natale, avant de devenir clarisse à Montoncel. Ces clarisses relevaient de la règle adoucie des «clarisses urbanistes » que Colette ne trouvait pas assez stricte. Elle se fit donc emmurer dans un reclusoir près de l'église Saint Etienne à Corbie, où elle demeura trois ans. C'est là qu'elle eut une vision de saint François d'Assise lui demandant de réformer son ordre, tâche à laquelle elle se consacra à partir de 1406. Dans notre région, elle fonda un couvent à Decize en 1419 à la demande de Bonne d’Artois, « veufve de Philippe Comte de Nevers », puis à Moulins en 1421 et à Aigueprse en 1422.
Le fait que le Grand béguinage de Paris qui tombait en ruines en 1471 ait été donné aux « filles de l’Ave Maria » (« une maison de la Tierce-Ordre, pénitence de M. Saint-François »), par Louis XI et Charlotte de Savoie, les dernières béguines se fondant parmi elles, remplacées, à partir de 1485, par les sœurs pauvres de Sainte Claire, est un indice supplémentaire des relations entre ces deux institutions.
L'historienne Claude Gauvard (voir lien ci-dessous) suggère que les ordres mendiants ont « préempté » l'institution des béguinages.
Celui de Moulins aurait-il été situé à l'emplacement du couvent Sainte-Claire et non loin de cette « rue des prêtres » qui suggère que c'est là que se situaient les maisons des chanoines de Notre Dame ? C'est une hypothèse très plausible.
N.B. : Voir Claude Gauvard et Aline Kinner : https://youtu.be/lyHdWKEYSlU. La vidéo dure une heure et demie, mais prenez le temps de l'écouter ! Elle est passionnante. Plus, à mon avis, que celle qui est en ligne sur le site de France culture, donnée à l'Ecole des Chartes, sur le même sujet par la même Claude Gauvard et Caroline Bourlet, en mars 2019, Aline Kiner étant décédée deux mois plus tôt.
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
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