Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
le blog des Etudes Bourbonnaises

analyse des articles parus dans le bulletin de la société bourbonnaise des études locales

Jean Triphon, gentilhomme grec

Publié le 24 Mai 2021 par Dominique LAURENT

extrait de la cote 234 des archives de Moulins      costume albanais   cathédrale saint Tryphon à Kotor (Montenegro)extrait de la cote 234 des archives de Moulins      costume albanais   cathédrale saint Tryphon à Kotor (Montenegro)extrait de la cote 234 des archives de Moulins      costume albanais   cathédrale saint Tryphon à Kotor (Montenegro)
extrait de la cote 234 des archives de Moulins      costume albanais   cathédrale saint Tryphon à Kotor (Montenegro)extrait de la cote 234 des archives de Moulins      costume albanais   cathédrale saint Tryphon à Kotor (Montenegro)
extrait de la cote 234 des archives de Moulins      costume albanais   cathédrale saint Tryphon à Kotor (Montenegro)extrait de la cote 234 des archives de Moulins      costume albanais   cathédrale saint Tryphon à Kotor (Montenegro)

extrait de la cote 234 des archives de Moulins costume albanais cathédrale saint Tryphon à Kotor (Montenegro)

En avril 1603, le maire et les échevins de Moulins accordent 60 sols de subside à Jehan Tripho (ou Triphon) « gentilhomme du pais de Grèce ».

La supplique signée de Jean Triphon nous interroge sur la situation politique des pays situés au nord de la Méditerranée au début du XVIIe siècle.

Il se présente comme grec, et comme noble. Il dit avoir « esté banny et exilé de sa patrie, de tous ses moiens [moyens de vie] et de toutes ses commoditez [idem], par la force et violence du Turc, qui a pris et subiugué (étymologiquement : du latin subjugare « soumettre ») la terre et la province où il avoit ses biens et ses rentes ». On ignore son âge en 1603, mais on déduit qu’il a lui-même bénéficié de toutes ces « commodités » au cours de son âge adulte et que sa venue, dans le royaume de France, et à Moulins, est toute récente. Il affirme être catholique.

Les Turcs qui ont franchi le Bosphore et fait irruption en Europe en 1353 n’ont cessé d’accroître leurs conquêtes territoriales jusqu’au XVIIe siècle. Cela a eu comme conséquence, au XIVe siècle, de chasser les élites intellectuelles grecques vers l’Italie. Les classes populaires ont cherché leur salut dans les montagnes.

Au début du XVIe siècle, ce furent les albanais qui subirent les assauts turcs : la ville de Croïa résista à un siège pendant 13 mois. Ce fut la famine qui fit succomber ses défenseurs. Les habitants furent décapités. La famine fit aussi succomber, au bout de 15 mois, les 1 600 défenseurs de la forteresse de Shkodër qui se rendirent le 25 janvier 1479. La fuite des albanais vers l’Italie (le Frioul et la Vénétie), fut massive. Les albanais étaient aussi bien de confession orthodoxe que catholiques romains.  Les enfants chrétiens des familles albanaises dominantes restées sur place, furent souvent convertis à l'islam et éduqués en Turquie. Certains devinrent des fonctionnaires de la Sublime Porte, d’autres des « janissaires », la garde d’élite comme devenaient « janissaires » les enfants dont les familles de plus de sept membres qui devaient faire don de l’un d’eux (un garçon) au Sultan (« impôt sur le sang »). En 1501, la république de Venise signa le traité de cession de l'Albanie vénitienne (actuel Montenegro) à la Turquie.

Notons l’attention particulière portée par Charles III, connétable de Bourbon, au sort des Albanais. Il leur permit de fonder des collèges à San Benedetto, Ullano, et Palerme, pour l'éducation de leurs enfants et la maintenance de la culture albanaise.

Gilbert de Marillac, son secrétaire, rapporte d’ailleurs dans ses mémoires,qu’en 1517, pour accueillir le roi de France François Ier, à Moulins, lorsqu’il vint parrainer son fils nouveau-né :

«  A [sa] venue, mon dit Seigneur fit aller au devant de lui plusieurs bandes de gentils-hommes, les uns habillés à l’albanaise, les autres à l’espagnole, autres armés et bardés. Lesquels, sur les chemins du roi, et pour lui donner plaisir, vinrent rompre lances et faire bonhourdis en foule, comme à la guerre. [Ce] que le roi trouva fort beau et le prit bien en gré. »

Le costume traditionnel des guerriers albanais est très semblable à celui des evzones grecs. Et à Kotor, dans l’ancienne Albanie vénitienne (actuel Montenegro), on trouve une cathédrale sous le vocable de saint Triphon.

Jehan Triphon n’est toutefois arrivé en Bourbonnais que 76 ans après la mort, à Rome, en 1527, du Connétable.

En 1541, après un siège, Buda, la capitale du royaume de Hongrie tomba aux mains des Turcs. La Hongrie fut gouvernée par les Ottomans, qui y imposèrent leur système administratif. Et ce, pendant 145 ans. S’il était hongrois, Jean Triphon se présenterait vraisemblablement comme tel. Il y eut biens des liens entre la France et des Hongrois, qui sous le nom de kuruc (croisés), reçurent des subsides et un renfort de 2000 hommes de la part du roi Louis XIV. Mais, outre le fait qu’ils ne sont attestés que soixante ans plus tard, ils étaient protestants et leurs ennemis étaient Habsbourg.

De 1591 à 1606, la Guerre de Quinze Ans opposa les Habsbourg aux Turcs. L’avancée de ces derniers fut freinée pour un temps. Mais bien que ce fut le Pape Clément VIII qui avait organisé l’alliance entre les princes chrétiens, la géostratégie du royaume de France n’était pas alors tournée vers l’est de l’Europe. La France ne fut pas partie prenante de cette alliance. Pas plus qu'elle ne participa en 1683 lorsque les princes chrétiens durent venir au secours de Vienne assiégée : si un prince français en disgrâce, le prince Eugène, Bourbon par sa grand-mère, dont le père avait été brièvement gouverneur de Bourbonnais se distingua dans cette bataille, les coalisés étaient dirigés par un prince polonais Jean Sobieski.

Qui donc était Jehan Triphon ? Etait-il vraiment grec ? Dans quelles circonstances avait-il fui son pays d’origine ? Sa signature présente une curieux mélange de caractères grecs et latins. Il savait écrire et il écrivait avec élégance, même si l’on ne dispose que de cinq mots pour en juger.

Le patronyme Triphon existe en France, uniquement concentré dans le département du Puy-de-Dôme. Il apparaît au XVIIe siècle dans la commune de Saint-Georges-de-Mons (source : généanet).

Commenter cet article