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le blog des Etudes Bourbonnaises

analyse des articles parus dans le bulletin de la société bourbonnaise des études locales

Le passage de la "chaîne des galériens" en Bourbonnais.

Publié le 31 Mars 2021 par Dominique LAURENT

Dans « Aspects insolites de la vie en Bourbonnais aux XVIIe et XVIIIe siècles », Guy Crouzet aborde un sujet assez méconnu et auquel pourtant les généalogistes qui dépouillent les registres de décès des paroisses situées entre Couleuvre et Saint-Martin d'Estréaux en passant par Franchesse, Saint-Menoux, Chazuil, Saint-Gérand-le-Puy, Droiturier ont peut-être rencontré : celui de la « chaîne » des galériens.

1481, année du rattachement de la Provence au royaume de France, marque le début des galères dans le port de Marseille. Les galères existaient dans l'Antiquité. Durant cette période, y compris à Rome, et au Moyen Âge, les rameurs étaient des hommes libres et des combattants.

Les premières condamnations par les divers tribunaux, à une peine de galère, datent de 1522.

C'est alors que fut mise en place ce que l'on appelle la « chaîne des forçats », qui ne fut abolie qu'en 1836.

Il y avait en réalité trois chaînes : la chaîne de Paris, celle de Guyenne et celle de Bretagne, qui nous concerne. La chaîne des forçats de Bretagne passait par Bourges, puis Dun-sur-Auron, traversait le Bourbonnais puis continuait sur Roanne et Lyon, où on embarquait les forçats sur le Rhône pour rejoindre Marseille.

Les conditions de voyage des futurs galériens, leur mauvaise alimentation, le manque d’hygiène favorisaient l’apparition de maladies épidémiques. Les épisodes fiévreux, bilieux ou nerveux représentent près de 50 % des symptômes inventoriés. En 1833, une épidémie de dysenterie frappa la quasi-totalité des condamnés et des gardes.

Les décès en cours de chemin étaient donc fréquents. Et Guy Crouzet a relevé des décès à Saint-Menoux, Yzeure et Saint-Martin d'Estréaux.

Quand en 1661, Colbert prit la direction de la marine, il oeuvra pour le développement de la flotte de guerre. On construit et on arme des galères et il faut des "bras" pour les faire naviguer, quand le vent n'est plus suffisant. Outre des esclaves achetés en Méditerranée, à Gênes, Malte ou Barcelone, et les volontaires, on faisaitt appel à la justice pour que envoie le plus possible de condamnés. Pour faire face aux besoins de la puissance royale de Louis XIV et à la mortalité très importante des galériens, il organisa la mise en place d'un véritable réseau de recrutement à partir des prisons dans toutes les provinces de France.

« Le Roi m'a commandé de vous écrire ces lignes de sa part pour vous dire que, Sa Majesté désirant rétablir le corps des galères et en fortifier la chiourme par toutes sortes de moyens, est que vous teniez la main à ce que votre compagnie y condamne le plus grand nombre de coupables qu'il se pourra et que l'on convertisse même la peine de mort en celle des galères. » Lettre envoyée par Colbert aux présidents de parlements le 11 avril 1662)

Le fils de Colbert, le marquis de Seignelay, qui lui succèda en 1683, poursuivit sa politique.

On estime qu'entre 1680 et 1715, environ 38 000 hommes furent envoyés à Marseille.

On était condamné aux galères pour des délits de droit commun (31 % des condamnés entre 1661 et 1715) : qu'il se soit agit d'assassins condamnés à mort dont la peine avait été commuée en condamnation aux galères à vie, de voleurs, ou de perturbateurs troublant l'ordre public. Parmi ces derniers beaucoup de vagabonds (la création d'Hôpitaux Généraux initialement destinés à enfermer les gens « sans aveu », n'ayant pu résoudre le problème, les ordonnances des 10 mars et 3 avril 1720 cherchèrent une alternative en pronçant le déportation des mendiants). La plupart des condamnés étaient des tâcherons, des journaliers des campagnes et des villes, ou des artisans compagnons. Les exploitants agricoles, les petits bourgeois et les notables (curés libertins, négociants escrocs) étaient minoritaires.

16 % étaient des faux sauniers. Or, le faux-saunage en Bourbonnais, était une activité bien représentée : en témoigne la correspondance de l'intendant d'Ableiges ou de l'intendant Vanolle, avec les contrôleurs généraux https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k1144998/f4.item.

Rappelons ce qu'était le faux-saunage : l'Etat avait créé un monopole sur la vente du sel, conservé dans des « greniers à sel » royaux, qui avaient leur propre juridiction. Un impôt sur la vente de ce produit, appelé la « gabelle », avait été instauré. Son taux n'était pas le même dans tout le royaume. Pour les régions où le sel est peu taxé (pays de petite gabelle), il est tentant de s'en procurer et de le revendre avec profit dans une région de grande gabelle. Or le Bourbonnais était pour partie en pays de petite gabelle.

45 % étaient des déserteurs de l'armée. L'enrôlement dans l'armée se faisait par des sergents recruteurs qui parcouraient les villes et villages, en faisant de belles promesses et en offrant des primes d'enrôlement, la plupart du temps au cabaret du coin. Une fois dégrisé « l'enrôlé volontaire » prenait la fuite. Dès qu'il était rattrapé, il était condamné et c'ést la peine de galère qui était appliquée.

4 % étaient des protestants. Après la révocation de l'édit de Nantes en 1685, une peine de galères était prévue pour les protestants tentant de sortir du royaume, ou pratiquant le culte réformé. C'est parmi eux que l'on trouve le plus grand nombre de bourgeois et notables. Le nombre de protestants condamnés aux galères a été très souvent exagéré.

 

Toutes sortes de tribunaux étaient compétents pour condmaner aux galères : les tribunaux criminels pour les droits communs, les tribunaux du prévôt, du sénéchal et, on l'a vu pour les faux-sauniers, ceux du grenier à sel.

 

Les galères étaient une peine de « afflictif et infamant », comme l'exposition au pilori. Aucucne peine de prison n'était prévue par les juridictions pénales de l'Ancien Régime pour certains crimes car le droit commun de la France ne prévoyait de peines de prison que pour des causes civiles (en attente de paiement des dettes) ou pour s'assurer de la personne d'un accusé en attente de son jugement.

Le départ des forçats débute par leur enchaînement. C’est la grande cérémonie du ferrement. C’est à ce moment que se déroule le dernier examen médical, le délestage des objets frauduleux cachés par les condamnés et la distribution de la tenue de voyage.

Le plus ancien témoignage date de 1712. Il émane d'un condamné protestant nommé Jean Marteilhe, qui a laissé des Mémoires d'un galérien du Roi-Soleil.

« Ce jour-là (17 décembre), à neuf heures du matin, on nous fit tous sortir du cachot et entrer dans une spacieuse cour. … on nous enchaîna par le col, deux à deux, avec une grosse chaîne de la longueur de trois pieds au milieu de laquelle il y avait un anneau rond... On nous fit tous mettre à la file, couple par couple, et alors on passa une longue et grossière chaîne dans ces anneaux, si bien que nous nous trouvâmes tous enchaînés ensemble. Notre chaîne faisait une très longue file car nous étions environ quatre cents ».

Au début du XIXe siècle cette cérémonie existait toujours et est décrite par Victor Hugo dans Le dernier jour d’un condamné, (1829) au XIIIème chapitre du roman, Le condamné mis dans une autre cellule, assiste à la danse et au chant des forçats à travers une fenêtre.

« Un gardien fit l’appel par ordre alphabétique ; et alors ils sortirent un à un, et chaque forçat s’alla ranger debout dans un coin de la grande cour, près d’un compagnon donné par le hasard de sa lettre initiale. Ainsi chacun se voit réduit à lui-même ; chacun porte sa chaîne pour soi, côte à côte avec un inconnu ; et si par hasard un forçat a un ami, la chaîne l’en sépare. Dernière des misères !


Quand il y en eut à peu près une trentaine de sortis, on referma la grille. Un argousin les aligna avec son bâton, jeta devant chacun d’eux une chemise, une veste et un pantalon de grosse toile, puis fit un signe, et tous commencèrent à se déshabiller. Un incident inattendu vint, comme à point nommé, changer cette humiliation en torture. 
Jusqu’alors le temps avait été assez beau, et, si la bise d’octobre refroidissait l’air de temps en temps aussi elle ouvrait ça et là dans les brumes grises du ciel une crevasse par où tombait un rayon de soleil. Mais à peine les forçats se furent-ils dépouillés de leurs haillons de prison, au moment où ils s’offraient nus et debout à la visite soupçonneuse des gardiens, et aux regards curieux des étrangers qui tournaient autour d’eux pour examiner leurs épaules, le ciel devint noir, une froide averse d’automne éclata brusquement, et se déchargea à torrents dans la cour carrée, sur les têtes découvertes, sur les membres nus des galériens, sur leurs misérables sayons étalés sur le pavé. […] Quand ils eurent revêtu les habits de route, on les mena par bandes de vingt ou trente à l’autre coin du préau, où les cordons allongés à terre les attendaient. Ces cordons sont de longues et fortes chaînes coupées transversalement de deux en deux pieds par d’autres chaînes plus courtes, à l’extrémité desquelles se rattache un carcan carré, qui s’ouvre au moyen d’une charnière pratiquée à l’un des angles et se ferme à l’angle opposé par un boulon de fer rivé pour tout le voyage sur le cou du galérien. Quand ces cordons sont développés à terre, ils figurent assez bien la grande arête d’un poisson.


On fit asseoir les galériens dans la boue, sur les pavés inondés ; on leur essaya les colliers ; puis deux forgerons de la chiourme, armés d’enclumes portatives, les leur rivèrent à froid à grands coups de masses de fer. C’est un moment affreux, où les plus hardis pâlissent. Chaque coup de marteau, assené sur l’enclume appuyée à leur dos, fait rebondir le menton du patient ; le moindre mouvement d’avant en arrière lui ferait sauter le crâne comme une coquille de noix.


Après cette opération, ils devinrent sombres. On n’entendait plus que le grelottement des chaînes, et par intervalles un cri et le bruit sourd du bâton des gardes-chiourme sur les membres des récalcitrants. Il y en eut qui pleurèrent ; les vieux frissonnaient et se mordaient les lèvres. Je regardai avec terreur tous ces profils sinistres dans leurs cadres de fer ».

En route, la chaîne s'accroissait des condamnés envoyés par les juridictions de la région. A Moulins, venaient s'y agréger ceux extraits des prisons clermontoises, où ils avaient été « fleurdelysés », c'est-à-dire marqués au fer rouge, ce que l'on appelait aussi la « flétrissure ».

La gestion de la chaîne était comme beaucoup d'autres choses, notamment les impôts, « affermée » à une entreprise privée pour une durée de huit à dix ans. Elle avait en charge les dépenses afférentes aux chaînes et colliers des forçats et à leur entretien. Sur les routes, les caravanes de forçats devaient être gérées par une « escorte suffisante » de surveillants de chaîne, qu'on appelait des argousins, soumis au modèle militaire.


 

Bibliographie

Paul Cousin, "Chaîne des forçats", dans Hervé Guillemain (dir.), DicoPolHiS, Le Mans Université, 2021.

Zysberg (André), Les Galériens. Vies et destins de 60 000 forçats sur les galères de France (1680-1748), Le Seuil, 1987, (rééd. coll. Points).

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