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le blog des Etudes Bourbonnaises

analyse des articles parus dans le bulletin de la société bourbonnaise des études locales

Les communautés familiales rurales en Bourbonnais

Publié le 12 Décembre 2020 par Dominique LAURENT

Les années 1970 ont été les années de la démographie historique et de l’étude des stsructures familiales. J’avais pour ma part dévoré le bouquin de Peter Laslett (Un monde que nous avons perdu : Famille, communauté et structure sociale dans l'Angleterre pré-industrielle, Flammarion, Paris, 1969).

C’est la période à laquelle paraissaient deux ouvrages d’Henriette Dussourd, alors présidente de la Société d’Emulation du Bourbonnais (Les communautés familiales agricoles du Centre de la France, Paris, 1978, 101 pages et Au même pot et au même feu... Etude sur les communautés familiales agricoles du Centre de la France, Paris, 1979, 157 pages) qui remettent en valeur les « communautés familiales rurales », évoquées d’abord en 1899 puis en 1911 à propos de l’affaire des Pions.

En Montagne bourbonnaise, bien des lieux étaient loin de toute autorité. On ne voyait pas non plus l’intérêt des impôts. Et quand la maréchaussée de Moulins escorta une prisonnière qui avait tué un huissier, à la prison de Ferrières-sur-Sichon, la route avait été barrée par 40 montagnards armés de pics et de bâtons. Et après deux procès, à Moulins,

Sur la place d’Allier
Huit pau(v)res particuliers
Montèrent sur l’échafa(u)d
C’est Barthelat, notre seigneur,
Qui nous a fait tout c’malheur.

Révolte fiscale et communautés familiales conduisirent en 1981 Emmanuel Todd (L'Invention de la France: Atlas anthropologique et politique, (en collaboration avec Hervé Le Bras), Paris, 1981) à voir dans ces communautés familiales, dont on dit qu’elles étaient gouvernées par un maître et une maîtresse élu(e)s, un type d'organisation sociale prédisposant au communisme.

Cette théorie était pratique car elle permettait en outre d’expliquer l’importance dans l’Allier, du Parti Communisme Français.

Ces communautés familiales étaient fréquentes dans le Centre de la France, les actuels départements de l’Allier, de la Saône et Loire, de la Nièvre et de la Côte d'Or. Et aussi dans le Puy-de-Dôme.

Les « Coutumes » de Chartres (1508, chap. XI, art. 61), de Troyes (1509, chap. VI, art. 101), d’Angoumois (1514, chap. III, art. 41), du Bourbonnais (1521, chap. XXII, art. 267), du Nivernais (1534, chap. XXII, §. 2) et du Berry (1539, chap. VIII, art. 10), avaient consigné par écrit les usages les concernant chacune dans leur région.

Elles sont demeurées « taisibles » jusqu’à l’Ordonnance de Moulins, de 1566, qui exigea que les actes juridiques au-delà d’une valeur excédant un montant fixé par décret « devaient être prouvés par écrit sous signature privée ou authentique. (…)».

Au Moyen Age, on trouve trace de ces communautés dans les terriers : leurs membres sont appelés « parçonniers» ou « communs parçonniers ». Ils sont assujettis à des impôts qui sont tous collectifs : c’est le groupe ou le « village » qui répond solidairement. Le village porte le même nom que la famille : les Bouchereux, les Saladins, les Planchards, les Dismerains, les Davids, les Judets, sont, entre autres, à Yzeure des toponymes qui rappellent les communautés familiales rurales. Comme les Bardelins ou les Garsaults (Garceaux) à Moulins.

Ces communautés familiales avaient obtenu du duc de Bourbonnais un « bail perpétuel » afin d’exploiter des terres qui, à Yzeure, sont la plupart du temps situées en lisière de forêt, ce qui suggère que leur installation est liée à un mouvement de défrichement. Ce « bail perpétuel » en fait des propriétaires exploitants tant qu’ils s’acquittent des cens, rentes et autres droits dus au duc. Droits, qui de fait sont tous autant d’impôts seigneuriaux.

Dans les actes, leur représentant en justice est désigné comme le « maître », aussi appelé « gouverneur ». On trouve aussi mention d’un « procureur », sans qu’il soit possible de savoir avec précision si le procureur est le « gouverneur » de la communauté dans tous les cas de figure. Le gouverneur est peut-être élu ou peut-être tout simplement désigné. Par les hommes seulement ou par l’ensemble de la communauté, parçonniers et parçonnières ? Aucun document ne nous est parvenu pour trancher.

Je n’ai pour ma part jamais rencontré de « maîtresse » élue par les femmes qui lui auraient obéi.

Le juriste nivernais Guy Coquille au XVIe siècle les décrit comme un groupe de personnes unis par des liens familiaux (liens du sang ou alliance), vivant en commun (« au même pot et au même feu » ; au « même pot, sel et chanteau de pain ») et exploitant également en commun un patrimoine indivis transmis intégralement de génération en génération.

Cela supposait soit un habitat particulier dont R. Langlois Yzeure, mille ans d’histoire et H. Dussourd Au même pot au même feu, donnent photos et dessins.

Mais des fonds d’archives suggèrent un autre type d’habitat, constitué de bâtiments d’exploitation communs, d’un puits commun, d’un jardin commun et de plusieurs petites maisons d’habitation. C’est notamment le cas de l’une de ces communautés sur Trevol.

J’ai pu étudier leurs archives depuis le début des années 1500 jusqu’à la veille de la révolution. A la fin du XVIe siècle, et surtout dans le courant du XVIIe, ces communautés d’exploitants apparaissent comme grevées de dettes. Et elles durent vendre les terres.
Lors de la vente sont recensés les créanciers auxquels doivent être versés les différents montants : le boucher du village, divers artisans et bien entendu les officiers du trésor royal.
Les membres de la communauté restèrent comme exploitants, comme métayers sur les terres dont ils avaient été autrefois propriétaires (ce que démontre Jacques Lelong, (
Le bocage bourbonnais sous l'Ancien Régime - Seigneurs, propriétaires, métayers).

Le cas des communautés « taisibles » ou celles ayant fait l’objet d’un contrat passé devant notaire e fut pas envisagé dans le Code Civil instauré en 1804.

Avaient-elles pour autant disparu ?

Jacqueline Vendrand-Voyer s’est intéressée aux contrats de « sociétés de culture » (« La tradition communautaire en Bourbonnais (1765-1875) - de la communauté contractuelle de personniers à la société de culture » publié dans les Mélanges offerts au doyen François-Paul Blanc, Presses universitaires de Perpignan ; Presses de l'Université de Toulouse 1 Capitole, 2011, t. 2, p. 943 - 962) et elle pense qu’il s’agit-là d’avatars des communautés familiales d’Ancien régime.

Il se trouve que j’ai trouvé deux de ces contrats en faisant des recherches sur ma famille.

L’acte de mariage de Pierre Damoret et de Suzanne Bérillon nous informe qu’un contrat avait été passé la semaine précédente par devant maître Dailheu, notaire à Souvigny. Ce notaire s’était en réalité déplacé en mairie de Besson pour rédiger 2 contrats : celui de Pierre Demoret et Suzanne Bérillon et celui de Catherine Damoret, soeur du premier avec Jacques Chevallier. Suzanne Bérillon et Jacques Chevallier étaient cousins germains par leurs mères, des sœurs Gazet.

Ils n’étaient pas propriétaires, mais fermiers.

Si des contrats furent passés, ce n’est pas parce que les biens apportés par les nouveaux époux dans la communauté conjugale étaient importants (« 12 serviettes et un bois de lit en noyer, estimé le tout quatre vingt huit francs » pour Pierre et 1 trousseau mobilier à l’usage de ménage, non décrit à la demande des parties, estimé à la somme de cinq cents francs et une somme de trois cents francs en argent pour Suzanne) mais parce qu’était créée à l’occasion de ces épousailles, une « communauté d’exploitation », appelé « société de culture », la première pour le domaine viticole des Coquelins, la seconde pour le domaine des Chaumes. Entre les nouveaux mariés et leurs parents.

C’était le couple le plus âgé qui avait le rôle de « chefs et administrateurs ».

- La société prenait cours le jour de la célébration civile du mariage. Sa durée n’était pas limitée, « de sorte qu’elle pourra cesser à première demande de l’un ou de l’autre des associés, mais toujours à une époque de onze novembre ». (En Bourbonnais, les baux étaient passés le jour de la saint Martin, c’est-à-dire le 11 novembre).

- Les époux Damoret-Perrot, chefs de la société devaient l’administrer « tant activement que passivement ».

- Font partie de la société et appartiendront en commun aux associés dans la proportion ci après :

- Tous les outils, chars, charrettes, instruments aratoires, vesseaux (vaisselle), [mot non lu], bénéfices de cheptel appartenant aux associés et tous les meubles meublants, linge, literie, vaisselle, chaises, tables et autres objets mobiliers qui serviront à la dite société. Toutefois les époux Damoret – Perrot entendent se réserver et exclure de la société - leur ménage particulier, et, en outre, douze draps, douze serviettes, douze torchons, et les futurs époux leur ménage particulier et tout leur linge.

Étant ici expliqué que tout le surplus du linge des époux Damoret fera partie de la dite société.

- Toutes les récoltes en cellier et toutes celles pendantes par branches et par racines seront compris dans l’association. »

Ils formaient entre eux une société pour la culture et l’exploitation en commun de toutes les terres qu’ils travaillaient actuellement, mais aussi, si l’exploitation devait s’agrandir, qu’ils pourraient travailler ensemble par la suite.

Il convenait aussi de fixer la répartition des bénéfices de l’exploitation entre les nouveaux associés.

- « Les gains et bénéfices comme les dettes des parties qui seront le résultat de la collaboration des associés seront retirés ou supportés moitié par les époux Damoret et moitié par les futurs époux ».

Dans le cas de sociétés constituées d’un plus grand nombre d’associés, ils étaient bien entendu partagés au pro rata.

A noter que le contrat de mariage de Jacques Chevallier et Catherine Damoret évoque Amable, frère du marié, qui était alors à l’armée. Il était vigneron associé à ses parents et à son frère, avant son service militaire1. Ses intérêts étaient ménagés dans l’association pour son retour.

Etaient prévus un certain nombre de cas dérogatoires de cette communauté, notamment celui des dots.

« Les époux Damoret se réservent le droit de prendre et prélever quand bon leur semblera sur les valeurs de la société pour aider à former les trousseaux de leurs deux filles vingt quatre draps, vingt quatre tabliers de cuisine et vingt quatre torchons et en outre deux lits de plume qui ne pourront être … que sur la plume qui sera faite pendant le cours de la société, sans pouvoir toucher aux lits actuellement existants, ni contraindre les futurs époux à contribuer à l’acquisition de la plume qui serait nécessaire ».

Au quotidien :

« Conditions financières de l’association et rémunération des associés ».

- Le logement, la nourriture et l’entretien des associés et de leurs enfants auront lieu en commun sur les produits de la société.

- Le logement la nourriture et l’entretien des associés et de leurs enfants à naître sera pris sur les produits de la société.

- Les associés devront toujours travailler pour le compte de la société.

Pour baser la perception de l’enregistrement les parties déclarent que les valeurs de la société sont inférieures à cinq mille francs.

La dissolution de la société s’effectuait soit par rupture du contrat (à la saint Martin), soit suite au décès de l’un des associés.

Dans ce dernier cas :

- […] La société existe toujours. Le prélèvement des trois cents francs qui sera fait par le survivant d’eux dans ce cas de dissolution appartiendra pour moitié aux futurs époux qui ne pourront toutefois toucher cette moitié qu’après le décès du dit survivant. Étant bien entendu que dans le cas de dissolution avant le décès de l’un ou de l’autre des époux Damoret les futurs n’auront aucun droit dans le prélèvement dont il s’agit.

Quand mourut Antoine Damoret, le père, Pierre le fils devint chef de ménage. Louise Perrot, la mère, restait associée dans la Société. Disposant du petit capital prévu par le contrat initial, elle continuait à résider « au même feu » et au « même pot », comme l’on disait à propos des communautés familiales d’Ancien Régime, aux Coquelins, avec ses deux filles mineures : Marie (18 ans) et Anne (15 ans) dont elle était la tutrice.

1 La loi Cissey de 1872 avait instauré un service national obligatoire par tirage au sort, qui pouvait durer jusqu’à cinq ans. Les « mauvais numéros » effectuaient cinq ans de service, les «bons numéros» un an. Amable Chevallier avait manifestement tiré un « mauvais numéro »

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